ACOUPHENES
HISTOIRE VRAIE …
Jeudi 13 septembre, je me réveille, on est en train
de me couper les cheveux, mais le coiffeur est équipé d’une tondeuse diesel, et
il me tond la tête par l’intérieur du crâne…quelle idée ! Ça bourdonne
grave, ça résonne tellement là haut que ça m’empêche de raisonner ici bas.
Qu’est ce que j’ai fait au bon dieu ? Certes je ne suis pas exempt de tout
reproche. Je l’avoue. Hier soir j’étais de mauvais humour. Ça arrive, même au
vieux clowns. Jeudi 13 septembre encore et toujours, il est 10 heures, j’ai la
tête encore pleine de bruits et je n’entends plus le monde extérieur ! Je
suis devenu complètement sourd. J’ai espoir un instant que ce n’est qu’un
malentendu. Non, ça se passe dans l’oreille interne, c’est « in ouie ».
Je croise un miroir. Bonjour monsieur …Oh ! Pardon (c’était moi ), j’ai les traits tellement
tirés qu’on dirait une esquisse …de
Braque, et au fusain de surcroît. Ah! Je n’ai pas des traits de génie ce matin,
on dirait un fantôme …j’ai des traits d’esprit en quelque sorte : ça me
ressemble assez.
Le médecin qui m’ausculte me pose des questions, je tends
l’oreille, je suis incapable d’y
répondre et pourtant je le regarde droit dans la bouche. On me fait passer des
examens, pour une fois je les réussis d’emblée et je suis admis …en urgence et
sans rattrapage. Moi qui rêvais d’être un artiste me voilà en audition.
Je me retrouve dans une chambre
aux murs verts pâles, assortis à ma tête, et contre lesquels j’ai envie de la
cogner. Le tapage dans mon crâne est insoutenable. Mon voisin de lit souffre de
la même atteinte auditive que moi, il est super sympathique mais on ne s’entend
pas ! J’ai l’impression de rentrer dans une bulle, qui se déforme mais ne
rompt pas. Une bulle de solitude, d’isolement. Je n’avais plus qu’une oreille,
je suis en train de perdre la seconde,
bientôt je ne pourrais plus lire : impossible d’accrocher mes branches de
lunettes.
On m’a équipé d’une perfusion
…j’ai de la veine ! J’ai des bouteilles suspendues qui me suivent partout
et tout le temps et qui me distillent régulièrement un précieux remède. Ma
planche de salut vogue sur ce liquide incolore aux vertus avérées… Equipé
d’un joli masque, je dois aussi respirer une espèce de mélange d’oxygène :
Pour une fois je ressemble à Tom Cruise (dans Top Gun ),est-ce la raison pour
laquelle les infirmières sont si gentilles avec moi ? Elles sont toutes
jeunes et belles. Vraiment je regrette de ne pouvoir chausser mes
lunettes !
Aller ! Courage. Il ne faut pas baisser pavillon … Mais
quel est l’idiot qui croit que l’audition est l’apanage de la vieillesse :
mais non, les mûrs n’ont pas d’oreilles.
Vendredi, il est 4 heures du
matin. Où suis -je ? Je cauchemardais. On m’étouffait. Qui ? Je suis
trempé, le bourdonnement est encore plus fort, la planche de salut serait-elle
vermoulue ? Qu’est ce que je donnerais pour entendre mon voisin ronfler !
J’en suis à supputer son ronflement en regardant le mouvenent de ses lèvres et
le frémissement de ses narines. Le silence étourdissant m’alarme. J’y vais de
ma larme.
J’aimerais tant, au creux de mon
lit et au creux de l’oreille, entendre
mumurer. Murmurer décibels histoires !
Mon cauchemar ? On me
proposait une greffe, une oreille de souris qu’on allait me placer dans le dos ! Arrêtez, arrêtez …
et pour les tapes amicales (ou sensées l’être), comment je vais faire ?
Remarquez bien, encore heureux, si on m’en avait greffé une de taureau, je
n'aurais pas pu aller en vacances en Espagne.
On me proposait une greffe car le paradoxe du sourd, c’est
qu’il n’entend pas et que dans son isolement, nul ne veut lui prêter l’oreille.
Mon infortune s’aggrave encore
quand on m’annonce qu’en raison de la cortisone je dois être au régime sans
sel. Qu’importe après tout, ventre affamé n’a pas d’oreille. Mon voisin me dit
que ça le constipe. Décidément le régime sans selle !
J’essaie de me consoler en me disant que la perte d’un sens,
favorise l’effervescence d’un autre. J’espère progresser en chant, enfin ! Pour
l’instant je constate que plus je suis sourd, moins je danse bien. En tout cas
van Gogh a commencé à peindre correctement après avoir perdu l’oreille. J’ai
bon espoir. Dès ma sortie je me mettrai à l’aquarelle.
Un instant j’eus espéré que mon problème ne fut que virtuel,
que je m’écoutais trop …mais non.
Ah ! Vous ne savez pas votre bonheur, quand l’oreille
est hardie ! Vous ne savez pas ce que c’est d’entendre le doux sifflement
du pinson serein, le croassement encore beau.
Le seul avantage de la surdité est d’être imperméable au
bruit qui courent.
Jeudi 20, mon audiogramme est
meilleur. Le traitement de choc arrive à son terme. Je suis crevé et je vais
pouvoir rentrer au bercail me reposer. J’entends bien sortir ce soir …Je vais
quitter l’hôpital avec un grand plaisir. J’y ai appris qu’un homme averti pouvait en valoir deux, mais que
jamais un con valait cent. L’année prochaine pensez-y, souhaitez-moi une
« good ear » !
Ce qui est sûr, c'est que ça doit aller mieux,
car j’écris, et quand je n’ai pas le moral je suis plutôt dur de la feuille. A
bon entendeur, salut